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Quand un visiteur demande à un Lyonnais où il peut découvrir la gastronomie locale, il y a de fortes chances qu’il réponde "dans un bouchon". Symbole de la cuisine lyonnaise,le bouchon est un restaurant où l’on sert, dans un décor typique et une ambiance conviviale, des plats issus de la tradition lyonnaise.
Si la cochonnaille et les abats sont à l’honneur : saladier lyonnais, tablier de sapeur, andouillette, saucisson chaud, tête de veau, on peut également y déguster les œufs enmeurette, le hareng pommes de terre ouencore les quenelles ("qu’nelles"), au brochet de préférence. La cuisine des bouchons est associée à Guignol et Gnafron, autres emblèmes populaires de la ville de Lyon.
L’institution des bouchons tire son origine des cabarets. Le Littré de la Grand’Côte, définit le terme "bouchon" ainsi : "Branche de pin, formant autant que possible la boule, et qu’on suspend en guise d’enseigne à la porte du cabaret. Dans l’Antiquité, le pin était consacré à Bacchus. Il n’est pas téméraire de penser que le bouchon rappelle cette tradition. Diminutif de 'bousche' en vieux français faisceau de branchage".
Le "bouchon" désigne donc l’enseigne que les cabarets suspendaient au-dessus de leur porte, et ce,afin de se différencier des tavernes. Toujours selon le Littré, ce terme est, par extension, utilisé pour nommer le cabaret en lui-même. Cette nécessité de se différencier venait notamment du fait que les cabaretiers avaient le droit de servir, sur place, à boire et à manger, tandis que les taverniers vendaient le vin à emporter, l’autorisation de vendre à manger ne leur étant attribuée que plus tardivement.
Une autre théorie est traditionnellement avancée quant à l’origine du terme "bouchon" : on dit parfois qu’il désignerait la paille qui était mise à disposition des voyageurs pour "bouchonner" leurs chevaux.
Les charcuteries et abats sont nombreux. Le vin, traditionnellement du beaujolais mais également du côtes-du-rhône, se sert en pot, aujourd’hui d’une contenance de 46 cl, et non à la bouteille. Voici quelques exemples de plats que l’on trouve à la carte d’un bouchon :
les grattons : gras de porc frit, souvent dégusté en accompagnement du communard, apéritif composé de vin rouge du Beaujolais et de crème de cassis (à consommer avec modération !)
la salade lyonnaise : sans doute la plus connue des spécialités. Elle est composée de salade verte, de lardons, d’un œuf poché et de croûtons.
les œufs en meurette : œufs pochés dans une sauce au vin rouge, oignons, champignons avec des croûtons.
les saladiers lyonnais : différentes salades pouvant être composées d’abats (pieds de mouton, dans une salade de clapotons, museau…) de lentilles, de cervelas…
le hareng pommes à l’huile : salade composée, comme son nom l’indique, de hareng et de pommes de terre.
mais encore : différentes terrines et pâtés en croûte, charcuteries (saucisson, rosette, jésus….), abats (pied de veau, tête de veau …).
le tablier de sapeur : très lyonnais ! Il s’agit de gras-double mariné, pané et frit servit avec une sauce gribiche.
la quenelle : la traditionnelle quenelle lyonnaise est au brochet, parfois accompagnée d’une sauce Nantua (sauce écrevisse).
le gâteau de foies de volaille, souvent accompagné de sauce tomate et de petites quenelles.
le foie de veau persillé.
l’andouillette : fraise de veau, traditionnellement tirée à la ficelle.
le saucisson chaud : accompagné de pommes de terre vapeur, parfois cuit dans une brioche.
la cervelle de canut : on ne parle pas ici de l’abat, mais d’une préparationbattue composée de fromage blanc, d’herbes et d’échalotes.
le Saint-Marcellin : fromage de vache à pâte molle et fleurie originaire du Dauphiné.
la rigotte de Condrieux : petit fromage de chèvre.
la tarte aux pralines : tarte à la pâte sablée, garnie d’un mélange de crème fraîche et de pralines roses fondues.
la bugne : beignet lyonnais, soit épais et moelleux soit plat et croustillant.
Au bouchon, restaurant typiquement lyonnais, est associée une pratique tout aussi lyonnaise : celle du mâchon. Pratiqué déjà après la révolution, le mâchon est un repas matinal, issu du quotidien des canuts, ouvriers de la soie à Lyon. Le mâchon se prenait dans un bouchon, alors que la "chicaison" se prenait dans l’atelier du canut.
Ce repas pris vers 9h du matin offrait une pause dans la longue journée de travail des canuts.
Si le Littré de la Grande côte le définit comme un «bon repas, forte noce », le mâchon des canuts était en réalité composé d’un plat simple et unique, souvent réchauffé de la veille, pour ne pas gaspiller les restes, et accompagné de beaujolais.
Ce moment était également l’occasion pour les canuts et les marchands-fabricants de la soie de se rencontrer et de négocier leurs prix, dans une ambiance moins formelle.
Il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle et la construction des halles des Cordeliers de Tony Desjardins (inaugurées le 1er mars 1859 et détruites en 1971) pour que cette pratique se démocratise et devienne celle que nous connaissons aujourd’hui. Les halles des Cordeliers et les bouchons installés à proximité devinrent le lieu de rendez-vous de ces « casse-croûtes » matinaux. Si à l’origine ce repas, pratiqué uniquement par les canuts, était constitué des restes de la veille et de plats simples, il propose, avec le temps, un éventail plus large de plats traditionnels et attire une population beaucoup plus hétéroclite, c’est-à-dire, toute personne amatrice de la bonne cuisine lyonnaise ! Aujourd’hui encore, la pratique perdure, le mâchon lyonnais peut toujours se déguster dans certains bouchons.
Clapotons : désigne les pieds d’animaux.
Clergeon : jeune pousse de salade.
Claqueret : cervelle de canut.
Cayon : cochon.
Panserotte :gras double.
Groin d’âne : plante ressemblant au pissenlit (salade de groin d’âne).
China : côte de porc.
Cardon : légume de la famille des artichauts dont on consomme les côtes (comme les côtes de blettes). Se cuisine traditionnellement en gratin avec de la moelle à Lyon.
Pot lyonnais : bouteille d’une contenance de 46 cl dans lequel est servi le vin dans les bouchons. Il est reconnaissable à son fond très épais.
Une fillette : également un contenant du vin, mais représentant 29 cl.
Mâchonner à s’en déponteler le gésier : manger abondamment, à s’en faire péter la panse.
Gnaquer à regonfle : se goinfrer.
S’en licher les babouines : se lécher les babines.
Vaut mieux pendre chaud en mangeant que froid en travaillant.
Vaut mieux mettre son nez dans un verre de beaujolais que dans les affaires des autres.
Le fabricant mange quand il a faim, le canut, quand il a le pain.
C'est au moment de payer les pots qu'on sent qu'on n'a plus soif.
Yves Roueche, Histoire(s) de la gastronomie lyonnaise, Editions Libel, Paris, 2018.
Patrice Beghain, Bruno Benoit, Gérard Corneloup, Bruno Thevenon, Dictionnaire historique de Lyon, Editions Stéphane Bachès, Lyon, 2009.
Jacques Bertinier, Francs-mâchons : les apôtres de la cuisine matinale, Les Deux Collines, Lyon, 2011.
Gilbert Salmon, Le parler du lyonnais, Editions Bonneton, 2010
Gilbert Salmon, Expressions familières du lyonnais, Editions Bonneton, Clermont-Ferrand, 2013
Clair Tisseur, Le Littré de la Grand’Cote, Nizier Du Puitspelu, Editions lyonnaises d’ar et d’histoire, Lyon, 2000